Formalistes et Zinesters : Pourquoi le formalisme n'est pas l'ennemi (1/3)

Published August 06, 2013
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Cet article est une traduction autorisee de la premiere partie de celui-ci : Formalists and Zinesters: Why Formalism Is Not The Enemy (Tadhg Kelly)

Avant-propos du traducteur
Ce qui suit est une critique d'un professionnel de longue date de l'industrie du jeu video, Tadhg Kelly, au sujet d'un recent mouvement de createurs amateurs d'oeuvres video ludiques. Ce mouvement prone une demarche a la fois artistique et non commerciale, voire meme militante, se faisant appeler les Zinesters, en reference a l'univers des fanzines, magazines de passionnes autoproduits. Le Zinesterisme, s'appuie notamment sur un livre en anglais, encore non traduit en francais, d'Anna Anthropy dont le titre est "Rise of the Videogame Zinesters" (L'avenement des Zinesters du jeu video). Dans ce livre qui est evoque dans la critique de Tadhg Kelly, Anna Anthropy traite de sa vision des jeux video en s'appuyant sur une de ses realisations appelee Dys4ia.


Avant d'emigrer, je me suis retrouve a defendre vigoureusement Raph Koster sur Twitter. Cela a commence en reaction a cet article, en particulier par cette citation d'Anna Anthropy :









[indent=1]"Les jeux video ont ete l'une des communautes les plus sectaires que j'ai jamais vu", m'a-t-elle dit par e-mail, "des mecs, comme Raph Koster, insistent sur le fait que dys4ia "n'est pas un jeu", ce n'est pas un jugement de valeur. Ce sont des foutaises. la tentative sur des jeux comme dys4ia de mettre les etiquettes de "non-jeux", "d'experiences interactives", c'est juste une tentative a travers le statu quo de maintenir la discussion autour des jeux centree sur le genre de jeux avec lequel on se sent a l'aise - car s'il y a bien une chose dont la culture du jeu video sait faire, c'est de mettre tres tres a l'aise des mecs d'un certain genre."Recemment, j'ai remarque une recrudescence de l'argument "des mecs d'un certain genre". D'une part, cela concerne l'acceptation et le traitement des femmes, des minorites et d'autres groupes au sein de l'industrie du jeu - et a juste titre. D'autre part, cela concerne la perception du patriarcat. C'est affirmer que des "mecs d'un certain genre" oppriment les gens creatifs avec leur vision d'une industrie organisee a maintenir leur satisfaction, et manipulent la definition de "jeu" comme une demonstration de leur pouvoir.

Cette affirmation est beaucoup plus sujet a controverse parce qu'elle confond trois problematiques differentes. La premiere est politique et affirme que la passivite ou l'apathie sont en fait des formes de complicite. La seconde est en rapport avec la preference du marche, se demandant pourquoi est-ce que le segment des males blancs achete sans cesse certains types de jeu tout en ignorant une plus grande diversite. Ce point met en cause la responsabilite de l'industrie, tandis que l'industrie elle defend que les dynamiques de marche sont evolutives de telle facon que l'industrie suit le marche plutot que de lui imposer quoi que ce soit.

La troisieme problematique porte sur la critique. Pour beaucoup de formalistes (moi y compris), de nombreux nouveaux types d'art interactif ne sont pas des jeux, ou alors pas tres bons si on les considere comme des jeux. Beaucoup s'apparentant a des jeux, sont des systemes ludifies, des histoires interactives, personnelles, convaincantes et limitees. Certains sont des mondes virtuels. D'autres sont plus interessants conceptuellement parlant que jouable. Beaucoup reposent sur la connaissance des intentions de l'auteur.

En creant un "jeu" qui n'est pas destine a etre joue ou gagne, son createur dit quelque chose. Le fait ensuite d'appeler ce travail autre chose que "jeu" peut apparaitre comme une attaque dirigee contre son createur. En particulier pour le groupe de ceux qui peuvent en premiere approche etre qualifies de "Zinesters", le "jeu" est devenu un champ de bataille politico-artistique feroce qui doit etre gagne. De plus en plus de Zinesters en arrivent a melanger le formalisme avec le patriarcat, la complicite et les debats sur "des mecs d'un certain genre", en les denigrant sans faire la moindre distinction.

C'est non seulement encore une autre tentative pour remporter le debat sur les jeux en ayant recours a l'equivoque, mais cela a pour effet de dissuader certaines voix autrement plus interessantes de se faire entendre. Certains, comme Raph, continue d'essayer, notamment avec cette lettre ouverte dans laquelle il evoque le debat et les attaques personnelles (un developpeur independant qu'il respecte a change de trottoir pour eviter de le croiser a la GDC - Game Developper Conference) pour etre contraint au final a devoir crier une fois de plus sur Twitter. La question pour les Zinesters est la suivante : Hurler et insulter est-ce donc la tout ce dont vous etes capables ?

Parce que si c'est le cas, les Zines vont inevitablement finir par disparaitre.

Des ennemis inoffensifs



Les Zinesters se considerent comme une classe emergente d'artistes interactifs. Leur travail couvre tout, de leur histoire personnelle jusqu'aux observations sur l'univers et des experiences purement esthetiques, et que ce travail prend des milliers de formes. Dans son livre, "Rise of the Videogame Zinesters", Anna Anthropy depeint le mouvement comme apparente aux posteurs de videos sur YouTube ou a d'autres createurs agregeant divers medias, libres des entraves du mercantilisme ou de l'elitisme, et en mesure de faire ce qu'ils veulent. C'est assez vrai.

Et pourtant, contrairement aux posteurs de video sur Youtube, le Zinesterisme a aussi un cote combatif. Provocateurs comme a pu apparaitre Anna a la GDC en lisant des poemes sur leurs luttes, leurs combats, leurs victoires et leurs defaites dans la bataille pour l'egalite reelle. Parfois le Zinesterisme va au-dela meme de ca. Pour certains, la lutte est moins sur la confirmation de soi que sur l'infirmation des autres. Il s'agit de la possibilite de crier "Je suis furieux contre toi, espece de blanc de service". C'est-a-dire que vous voulez juste un ennemi.

Nous pouvons etre formalistes, mais ceux qui ecrivent comme Raph ou moi-meme sommes le mauvais type d'ennemi dans le cas ou votre intention est de defendre le droit des createurs de jeux a donner leur avis sur les jeux, parce que nous sommes d'accord avec vous. Parmi nos rangs, vous trouverez quelques-uns de vos plus fervents partisans, des defenseurs passionnes et des evangelistes affirmes. Vous rencontrerez un debat vif et des reponses argumentees puisque nous essayons d'aboutir a un stade ou notre cadre critique est a la fois le plus general et le plus clair possible. Mais pour ces raisons, vous trouverez peu de gens qui tenteront de prendre a defaut vos realisations sur la qualite (soit dit en passant, dans la course au jugement au cours des dernieres semaines sur l'ensemble de cette question, ou beaucoup se contentent d'affirmer que les jugements de valeur et autres sont au coeur de ce qu'est un jeu, aucun de ses partisans ont encore cite un exemple credible a ce propos.)

Ce que vous y trouverez aussi, cependant, ce sont des gens qui connaissent assez bien l'univers du jeu video. Des gens qui ont vu cette lutte sur "ce qu'est un jeu" se produire avant. Des gens pour qui l'idee d'un jeu qui a recours a la mort definitive n'est pas etonnamment originale. Des gens pour qui l'astuce de l'inversion de role et la notion de jouer avec le degout de soi, ou des jeux qui demandent a ne pas etre joues, sont des idees qu'ils ont deja vues. Des gens pour qui le debat n'a rien a voir ou presque avec leur propre sentiment de puissance et tout a voir avec le fait d'essayer d'arriver a une meilleure comprehension. Des gens qui considerent que les Zinesters semblent repeter une erreur tres ancienne.

Vers la fin des annees 80, un desir grandit parmi les jeunes rolistes sur table (moi y compris) pour repousser les limites des nombres. Nous commencions a parler de jeux de role en tant que jeux narratifs. Nous considerions plusieurs joueurs de la vieille garde qui parlaient de campagnes, de classes et de points de vie comme desuets. Nous etions convaincus qu'un jour le "jeu" aurait place pour des histoires, des epopees et des themes. Nous parlions sans cesse de narrations non scenarisees, de jeux sans regle et de depasser la notion de divertissement.

L'energie des debuts entourant ce mouvement a genere beaucoup de creativite. Les genres de jeux que nous avions crees etaient des concepts. Nous avons travaille sur des jeux dont le but etait d'explorer les themes de la mythologie, de l'identite et de la sexualite. Dans un premier temps, nous utilisions des trames, des scenarios ou des mecaniques traditionnelles, mais au fil du temps nous etions passes dans l'abstraction stylistique, l'equivalent en jeu de role des Six personnages en quete d'auteur de Pirandello. Nous etions plus ou moins les precurseurs des Zinesters d'aujourd'hui.

Pour nous, c'etait quelque chose de fascinant, mais cela n'a pas attire au-dela de nos rangs. Alors, au fil du temps nous sommes tombes dans un debat de plus en plus confidentiel. Alors que le reste de la communaute des joueurs ne s'en souciaient pas tellement, nous sommes devenus militants et obsedes par les broutilles, les affronts et les insultes percues. Nous sommes passes d'une tribu de passionnes a des groupuscules qui passaient leur temps a raler les uns sur les autres, et au fil du temps nous avons decline. Le "jeu" est reste tel qu'il etait, malgre toutes nos fanfaronnades, et vers la fin des annees 90, il etait retourne a ses racines avec la 3e edition de Donjons et Dragons.

Ceci, en grande partie, est le modele que semble suivre le Zinesterisme.

La deuxieme partie en francais est disponible ici : Formalistes et Zinesters : Pourquoi le formalisme n'est pas l'ennemi (2/3)
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